par Luiz Inácio Lula da Silva
Contrairement aux crises de ces quinze dernières années - en Asie, au Mexique ou en Russie -, l'actuelle tempête qui s'est abattue sur la planète trouve son origine au centre de l'économie mondiale, aux États-Unis. Après avoir atteint l'Europe et le Japon, la crise menace les pays émergents qui bénéficiaient d'une extraordinaire croissance et d'un sain équilibre macroéconomique.
En Amérique du Sud, les dix dernières années ont été marquées par un fort processus de croissance, accompagné d'une sensible amélioration sociale, d'une stabilité macroéconomique et d'une réduction de la vulnérabilité externe. Ce processus a eu lieu dans un contexte d'expansion et de renforcement de la démocratie.
Les dérives d'un capital financier détaché de la production, additionnées à l'irresponsable déréglementation des marchés, ont conduit le monde dans une impasse dont même les responsables sont incapables d'évaluer l'ampleur. La crise a mis au jour les profondes erreurs de politiques économiques présentées comme infaillibles et la fragilité des organismes multilatéraux de Bretton Woods. Elle a montré l'obsolescence des instruments de gouvernance mondiale.
La transformation du G20, jusque-là organisme technique, en instance de chefs de gouvernement des principales économies du monde est positive. Il est cependant important qu'il puisse apporter des solutions capables de contrer les effets dévastateurs de la crise et de conduire vers une profonde reformulation de l'économie internationale à moyen et long termes. La réunion du G20 à Londres ne peut décevoir les attentes. Il est nécessaire de trouver des réponses qui créent les conditions de la relance économique.
Parmi les problèmes les plus urgents, le rétablissement du crédit et la lutte contre le protectionnisme me semblent des thèmes centraux. La chute du commerce mondial et des investissements est liée à l'insuffisance de liquidités dans le monde. Elle pénalise les pays émergents. Il revient donc au FMI d'irriguer l'économie internationale, principalement des pays émergents, afin d'inverser, avant qu'il ne soit trop tard, l'actuelle tendance récessive.
Je sais qu'il ne sera pas facile de conclure le cycle de Doha (négociations au sein de l'OMC sur une nouvelle phase de libéralisation des échanges), qui était sur le point de l'être l'an dernier. En temps de crise, le protectionnisme, que je qualifie de drogue, augmente. Il entraîne en effet une euphorie provisoire mais, à moyen et long termes, finit par engendrer une profonde dépression, avec de funestes conséquences sociales et politiques, comme le montre l'histoire du XXe siècle.
Démocratiser le FMINous devons démocratiser le FMI et la Banque mondiale. Ces institutions, jadis enclines à donner des leçons aux pays pauvres et en développement, ont été incapables de prévoir et de contrôler le désordre financier qui s'annonçait.
Un autre sujet d'importance est celui de la fin des paradis fiscaux, cette efficace base arrière du trafic de drogue, de la corruption, du crime organisé ou du terrorisme. Depuis l'intensification des effets de la crise, j'ai maintenu des contacts avec les dirigeants du monde entier à la recherche d'alternatives. J'espère qu'il en résultera, lors de la réunion du G20 à Londres, un ensemble de propositions capables d'apporter une réponse substantielle à la crise.
Ces dernières années, le Brésil a réalisé un immense effort de reconstruction économique. Nous avons adopté des politiques anticycliques qui nous ont rendus moins vulnérables à la crise. Nos programmes de répartition des revenus, qui profitent à plus de 40 millions de personnes, s'articulent avec une politique de réforme agraire, salariale et du crédit qui favorise les plus pauvres et a permis un élargissement considérable du marché intérieur. Le plan d'accélération de la croissance investira, d'ici à 2010, 270 milliards de dollars dans l'économie, révolutionnant l'infrastructure physique, énergétique et sociale du pays.
Nos réserves de change, supérieures à 200 milliards de dollars, ont également contribué à la bonne santé de l'économie brésilienne. Nous sommes internationalement créditeurs nets. Notre dette publique représente 36 % du PIB. Notre système bancaire est solide. Les banques d'Etat, responsables de 40 % du crédit, assurent à l'Etat les conditions de régulation de l'économie et de promotion du développement. Je ne me lasse pas de répéter que l'heure de la politique et du rétablissement du rôle de l'Etat est arrivée. Les dirigeants doivent assumer les responsabilités que la société leur a confiées.
Il est important de sauver les banques ou les assureurs pour protéger les dépôts et la protection sociale. Mais il est plus important encore de protéger les emplois et d'encourager la production.
Plus qu'une grave crise économique, nous sommes face à une crise de civilisation. Elle exige de nouveaux paradigmes, de nouveaux modèles de consommation et de nouvelles formes d'organisation de la production. Nous avons besoin d'une société dans laquelle les hommes et les femmes soient acteurs de leur histoire et non victimes de l'irrationalité qui a régné ces dernières années.
Luiz Inácio Lula da Silva, président de la République fédérative du Brésil.
Article paru dans l'édition du journal Le Monde du 31.03.09.
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