samedi 10 avril 2010

La Mécanique Quantique comme modèle formel de l'énaction (publication)


Le paradigme de l'énaction aujourd'hui
Apports et limites d'une théorie cognitive
« révolutionnaire »

Plastir, 2010, 18

par Olivier Penelaud

Résumé :

Il est question ici, de soulever le problème d'opérationnabilité souvent rencontré par les chercheurs des Sciences Cognitives qui, séduits par le cadre novateur de la théorie de l'énaction, ont voulu faire leur, ce paradigme. Pour tenter de comprendre le pourquoi de cette difficulté, nous allons : remonter à l'origine du concept, dont on trouve les prémisses dans la théorie de l'autopoïèse ; analyser son développement, en étudiant les notions spécifiques qui le définissent ; puis, focaliser notre attention sur les incohérences générées par sa pleine expression, en pointant notamment son difficile rapport avec le langage et sa dimension symbolique. Nous verrons qu'une des difficultés d'appropriation de l'énaction provient du cadre épistémique dans lequel on se place pour l'appréhender. En-effet, celle-ci convoque un changement paradigmatique, impliquant un changement d'ontologie non-trivial, identifié ici, comme être à la source du problème posé. Enfin, nous montrerons que le cadre de la Mécanique Quantique, plus particulièrement dans sa perspective informationnelle, peut apporter des éléments de réponses quant-aux limites évoquées.

Sommaire :

  1. Introduction
  2. Le vivant comme système autopoïétique
  3. Une cognition incarnée exempte de représentation
    1. La corporéité des connaissances
    2. Circularité, expérience du vécu et renversement phénoménologique
  4. Cognition sans représentation, quid du langage ?
    1. Pour une perspective énactive du langage
    2. Sous-détermination du troisième terme
  5. Enaction et modèles formels
    1. Pourquoi, malgré tout, une théorie « révolutionnaire » ?
    2. Mécanique Quantique Informationnelle et théorie cognitive relationnelle
  6. Conclusion

Article du n°18 de la revue Plastir disponible en pdf.

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mardi 6 avril 2010

Ontophylogenèse et déterminisme génétique

Ontophylogenèse

Jean-Jacques Kupiec
(biologiste, Centre Cavaillès)

Jeudi 3 juin 2010
Centre Cavaillès (3e étage, 29 rue d’Ulm, 75005 Paris)
de 18h00 à 20h00
entrée libre dans la limite des places disponibles


L’évolution des espèces (phylogenèse) et le développement des organismes individuels (ontogenèse) sont considérés comme deux phénomènes distincts. La biologie repose sur cette ontologie qui pose l’espèce et l’individu comme réels et coextensifs, l’espèce étant une collection d’individus identiques. Dans sa version moderne cette ontologie s’appuie sur la théorie du programme génétique : une espèce est une collection d’individus possédant le même programme génétique et l’évolution des espèces est le résultat des mutations qui affectent leurs programmes (théorie synthétique de l’évolution).

Cette conception est aujourd’hui invalidée par les données expérimentales. En effet, la théorie du programme génétique repose sur l’idée que les interactions des molécules biologiques sont spécifiques. Au contraire, des données récentes montrent que les protéines manquent de spécificité. Elles peuvent interagir avec de nombreux partenaires moléculaires. En conséquence, les interactions moléculaires sont intrinsèquement stochastiques et il est par ailleurs aussi démontré que l’expression des gènes est probabiliste. Cela contredit la théorie du programme génétique à sa racine, jusqu’à l’ontologie qui la soutient.

La prise en considération de ce manque de spécificité des protéines et du caractère intrinsèquement probabiliste des interactions entre molécules biologiques débouche sur une nouvelle conception. La sélection naturelle agit non seulement dans la phylogenèse mais aussi l’ontogenèse. Celle-ci, au lieu d’être un processus déterministe dans lequel l’information génétique circule uniquement des gènes vers le phénotype (l’organisme individuel), est au contraire probabiliste et duale : les gènes fournissent les protéines, mais leurs interactions probabilistes sont triées par les contraintes sélectives produites par les structures cellulaires (et multicellulaires), qui sont elles mêmes soumises à la sélection naturelle.

Au final, cette conception débouche sur une nouvelle ontologie : il n’existe qu’un seul phénomène d’« ontophylogenèse » expliqué par la seule théorie de sélection naturelle agissant en même temps sur l’ontogenèse et la phylogenèse.

J.-J. Kupiec, L’origine des individus, Fayard, 2008. (Trad. angl. The Origin of Individuals, World Scientific, 2009). Sous la direction de J.-J. Kupiec, O. Gandrillon, M. Morange, M. Silberstein, Le hasard au cœur de la cellule, Syllepse, 2009.
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dimanche 4 avril 2010

Qu'est-ce que la réalité ?



Réflexions autour de l'oeuvre de Stéphane Lupasco

par Basarab Nicolescu

Broché: 180 pages
Editeur : Liber - Montréal (15 octobre 2009)
Langue : Français

Disponible chez Amazon (20.42€)







Le mot "réalité" est un des plus prostitués de toutes les langues du monde. Nous croyons tous savoir ce qu'est la réalité mais, si on nous interroge, nous découvrons qu'il y a autant d'acceptions de ce mot que d'habitants sur la terre. Il n'est donc pas étonnant que les conflits sans nombre agitent sans cesse les individus et les peuples : réalité contre réalité. C'est une sorte de miracle que, dans ces conditions, l'espèce humaine existe encore.

Plus de soixante ans après l'affirmation de Wolfgang Pauli, un des fondateurs de la mécanique quantique: "la formulation d'une nouvelle idée de réalité est la tâche la plus importante et la plus ardue de notre temps", cette tâche reste inaccomplie. Et pour illustrer cette quête, je prends, comme cas exemplaire, l'œuvre de Stéphane Lupasco (1900-1988). J'ai eu le privilège de partager lamitié de Lupasco de 1968 à sa mort. Ce livre voudrait prolonger nos échanges intellectuels et spirituels au-delà de ce terme. En effet, la pensée de Lupasco est un système ouvert, soumis à un perpétuel questionnement constructif. Elle nous aide à avancer vers une sagesse en conformité avec les défis majeurs de notre siècle.
Basarab Nicolescu

Table des matières
  • Chapitre 1. L'œuvre de Stéphane Lupasco: vision panoramique
  • Chapitre 2. Au centre du débat: le tiers inclus
  • Chapitre 3. Niveaux de réalité et multiple splendeur de l'Être
  • Chapitre 4. Jung, Pauli, Lupasco face au problème psychophysique
  • Chapitre 5. Stéphane Lupasco et Gaston Bachelard: ombres et lumières
  • Chapitre 6. Du monde quantique au monde de l'art
  • Chapitre 7. Le tiers inclus, le théâtre de l'absurde, la psychanalyse et la mort
  • Chapitre 8. Dieu
  • Chapitre 9. Le dialogue interrompu: Fondane, Lupasco et Cioran
  • Chapitre 10. Abellio et Lupasco. Un idéal partagé
  • Chapitre 11. Entretien avec Edgar Morin
  • Chapitre 12. Pour ne pas conclure
  • Données biographiques et bibliographie


L'auteur :

Basarab Nicolescu est physicien théoricien, professeur à la Faculté d'Etudes Européennes de l'Université de Babes-Bolyai (Cluj-Napoca, Roumanie) et président-fondateur du Centre International de Recherche et Etudes Transdisciplinaires (CIRET). Homme de grand engagement humain et intellectuel, il est l'auteur d'un grand nombre de publications, notamment Nous, la particule et le monde (Rocher, 2002), La science, le sens et l'évolution (Le Félin, 1988) et Le tiers secrètement inclus (Babel, 2003).

Commentaire :

Ce livre écrit dans un style accessible à tous, renoue avec la Métaphysique telle qu'elle était pratiquée dans la Grèce antique, c.-à-d. originellement comme ta meta ta physica (ce qui vient après la Physique), abandonnée depuis les attaques acerbes assenées par les positivistes logiques au début du XXe siècle, et remise au goût du jour depuis les inconsistances théorétiques révélées par les théorèmes d'incomplétudes de Gödel en Mathématiques et les limites empiriques, révélant l'indétermination intrinsèque du monde subatomique, de la Mécanique Quantique. Loin d'être un traité de Métaphysique - qu'on ne s'y trompe pas - il essaie d'établir sur la base de l'oeuvre du Philosophe et Logicien Stéphane Lupasco (oeuvre à laquelle B. Nicolescu a personnellement participé en y-apportant le concept de niveaux de réalité) une conception claire mais néanmoins complexe - ternaire - de cette notion que nous croyons tous unanimement partagée et qui pourtant, est en reconstruction permanente : la Réalité.
O.P.

vendredi 2 avril 2010

Big Bang en sous-sol

Par Pierre Le Hir

Champagne au frais et ambiance fiévreuse, mardi 30 mars au petit matin, à l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) de Genève. Une expérience jamais réalisée, à partir du Large Hadron Collider (LHC, "grand collisionneur de hadrons"), le plus grand instrument scientifique du monde, doit peut être permettre d'éclaircir le mystère de la création de l'Univers. Dans les salles de contrôle, les équipes retenaient leur souffle. Une tension comparable à celle qui précède, à Cap Canaveral ou à Kourou, le lancement d'une navette ou d'une fusée Ariane. Jusqu'à la dernière minute, un paramètre non conforme pouvait faire retarder le tir. Non pas d'un lourd engin spatial, mais de minuscules faisceaux de particules subatomiques. Un défi technologique tout aussi complexe. "Cela revient un peu à lancer des aiguilles à travers l'Atlantique et à les faire entrer en collision à mi-parcours", expliquait Steve Myers, directeur des accélérateurs.

"Nous sommes prêts, et nous sommes confiants", assurait, quelques jours plus tôt, le directeur général du CERN, Rolf-Dieter Heuer. "Mais, ajoutait-il, nous ne sommes jamais à l'abri d'un incident. Il s'agit d'une machine nouvelle, pas d'une machine de série. Il faudra peut-être des heures, voire des jours, pour obtenir des collisions." Les chercheurs s'apprêtaient à provoquer, dans l'anneau de 27 km de circonférence enfoui, à 100 m sous terre, à la frontière franco-suisse, les premiers chocs entre protons à 7 millions de millions d'électrons-volts (7 tera-électrons-volts ou TeV). Une énergie encore jamais atteinte dans un accélérateur de particules. Trois fois et demie celle de l'instrument jusqu'alors le plus puissant, le Tevatron américain du Fermilab de Chicago, limité à 2 TeV.

Une collision titanesque

De quoi sont faites, par exemple, la matière noire et l'énergie sombre qui forment 96 % de l'Univers, dont nous ne connaissons qu'une infime partie ? Qu'est devenue l'antimatière qui, à l'aube de l'espace-temps, a sans doute été produite en même quantité que la matière, mais dont il ne reste plus trace ? Pourquoi les particules ont-elles une masse, et pourquoi certaines sont-elles lourdes et d'autres légères ? Le boson de Higgs, postulé par la théorie mais jamais observé, est-il la clé de cette masse ? Comment, encore, la "soupe primordiale" de l'Univers s'est-elle transformée, en quelques millièmes de seconde, en protons et en neutrons qui allaient donner naissance aux noyaux, aux atomes, puis aux étoiles et aux galaxies ? Existe-t-il des dimensions cachées, comme l'imagine un étrange scénario selon lequel les particules fondamentales ne ressemblent pas à des points, mais à des cordes en vibration? Nul ne sait si le LHC résoudra ces énigmes.

Les physiciens sont hommes de grande foi. Et de grande humilité. De la foi, il en faut pour construire, avec la ferveur des bâtisseurs de cathédrales, de gigantesques détecteurs où ils vont guetter, sans relâche, un signe venu de l'au-delà du monde visible. De l'humilité aussi, pour surmonter les coups du sort qui se sont acharnés sur eux. En septembre 2008, neuf jours après sa mise en service, une panne a plongé la machine dans le noir absolu.

Une nouvelle physique aux lois inconnues

"La patience paie", se réjouit aujourd'hui le patron du CERN. Depuis son redémarrage, en novembre 2009, le LHC aligne les succès. Fin novembre, des faisceaux de protons de 1,18 TeV ont circulé – sans se croiser – dans la boucle. En décembre ont été enregistrées des collisions à 2,36 TeV, qui amélioraient déjà, d'une courte tête, le record détenu depuis 2001 par la machine américaine. Enfin, le 19 mars, des faisceaux séparés ont été accélérés à 3,5 TeV. Restait le test crucial, tenté ce mardi : faire se percuter les faisceaux de protons, pour atteindre 7 TeV. Si tout va bien, annonce le CERN, le LHC sera exploité en continu "pendant une période allant de dix-huit à vingt-quatre mois, avec un court arrêt technique à la fin de 2010". Avant de monter en régime jusqu'à son énergie maximale de 14 TeV. Deux escadrons de chacun sept moustiques se heurtant de plein fouet pour le progrès de la science.

Car cette débauche d'énergie n'a d'autre finalité que l'avancée de la connaissance. L'espoir de voir naître une physique aux lois encore inconnues. Obligeant peut-être à repenser notre représentation du monde. "Les premières collisions de protons à haute énergie sont un événement très attendu par les physiciens du monde entier, pour lesquels de nouveaux horizons scientifiques s'ouvriront", piaffent d'impatience le CNRS et le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), très impliqués dans ces travaux.

Nous sommes ici dans un pur sanctuaire de la recherche fondamentale. Même si le CERN s'enorgueillit d'être à l'origine du Web – inventé en 1989 pour permettre aux scientifiques de partager leurs informations – et d'avoir fait progresser les systèmes de calcul – chaque année, le LHC va collecter une masse de données équivalant à une pile de CD haute de 20 km –, les expériences n'auront aucune retombée pratique. Du moins à court ou à moyen terme. "La recherche fondamentale a toujours des applications, mais on ne sait jamais quand ni dans quel domaine", assure M. Heuer.

C'est toute la beauté de cette aventure. A l'heure de la "science utile", des nations – le CERN regroupe vingt Etats membres et cinq autres, Chypre, Israël, la Serbie, la Slovénie et la Turquie, ont fait acte de candidature – n'ont pas hésité à investir près de 4 milliards d'euros dans cet instrument. Et à en faire bénéficier 10 000 chercheurs de 85 pays. Déjà, cette communauté se projette dans le futur. Deux nouveaux accélérateurs sont à l'étude, pour prendre le relais du LHC à l'horizon 2025. Et repousser encore les frontières de la physique. Ou de la métaphysique ?

Article paru dans l'édition du journal Le Monde du 30.03.10.
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