jeudi 31 mai 2012

Conjecture & Cognition

La difficile ascension vers la résolution d'un problème mathématique

Par David Larousserie



Terence Tao (université de Californie) vient d'apporter sa pierre à la résolution d'un problème mythique de sa discipline, la conjecture de Goldbach.

Pour un mathématicien, avancer à petits pas ne signifie pas forcément se rapprocher du but. Ainsi, l'un des plus brillants chercheurs de cette discipline, Terence Tao (université de Californie), vient d'apporter sa pierre à la résolution d'un problème mythique de sa discipline, la conjecture de Goldbach. Mais sans pouvoir affirmer l'avoir totalement résolue.

Ce problème remonte au XVIIIe siècle, lorsque le mathématicien Christian Goldbach défie son collègue Leonhardt Euler en estimant peu ou prou que tout nombre entier pair peut s'écrire comme la somme de deux nombres premiers. Par exemple, 30 = 13 + 17 ou 90 = 17 + 73. Ou encore, que tout nombre entier impair peut s'écrire comme la somme de trois nombres premiers. Ainsi, 179 = 19 + 71 + 89. Les nombres premiers ne sont divisibles que par un et eux-mêmes et constituent en quelque sorte les briques élémentaires de la théorie des nombres.

"Cette conjecture est très importante. Elle est simple à énoncer et pourtant touche à un problème fondamental : comment se combinent, pour les nombres, les deux opérations de base, la somme et la multiplication [qui est liée aux nombres premiers]", explique Gerald Tenenbaum, de l'institut Elie-Cartan de Nancy, spécialiste de la théorie des nombres.

Ce problème n'est pourtant pas l'un des sept mis à prix un million de dollars par la fondation Clay en 2000. Il a néanmoins un rapport avec l'un deux, l'hypothèse de Riemann, qui donne la clé de la répartition de ces atomes des mathématiques que sont les nombres premiers. Si cette autre conjecture est vraie, alors l'énoncé de Goldbach pour les nombres impairs s'en déduirait par exemple.

"Nous ne pourrons pas aller jusqu'à la démonstration finale."

C'est dans ce contexte que Terence Tao, médaillé Fields en 2006 (récompense suprême en mathématiques), a démontré que tout entier impair peut se décomposer en cinq nombres premiers. Ce qui est donc un petit peu mieux que le précédent "record" d'Olivier Ramaré, de l'université de Lille et du CNRS, qui, il y a presque vingt ans, avait établi que tout nombre pair se décompose en six nombres premiers.

L'Américain a soumis cet article en février à une revue spécialisée pour expertise et publication, mais le magazine Scientific American l'a sorti de la confidentialité le 11 mai, repris par le site Web de la revue Nature. Le prestige de l'auteur et la méthode utilisée ne laissent guère de doute sur la solidité du travail, qui devrait donc être prochainement validé. Ce dernier reste modeste : "C'est un progrès incrémental dans la recherche sur la conjecture de Goldbach, mais pas une révolution", nous a-t-il écrit.

Le problème avec cette conjecture est que s'il semble possible d'atteindre les étapes suivantes, quatre nombres premiers, puis trois, la dernière restera inaccessible. "Avec la méthode que j'avais utilisée et que Terence Tao poursuit, nous savons que nous ne pourrons pas aller jusqu'à la démonstration finale. Il y a un obstacle théorique, constate Olivier Ramaré. On a même du mal à s'approcher d'une méthode différente permettant d'aborder cette ultime question. Peut-être qu'on ne verra pas la démonstration avant mille ans !"

"Ces travaux sont cependant intéressants, car pour aborder la démonstration finale, nous avons besoin de comprendre les entiers et les nombres premiers. Les outils et méthodes développés dans des cas plus 'simples' pourront donc être utiles. On ne sait jamais", poursuit le chercheur.
Article du journal Le Monde du 31.05.2012.


Ne serait-ce par sur nous, finalement, comme le sous-tendait H. Simon, que la mathématique nous en apprend le plus ?

Aucun commentaire: