mardi 6 avril 2010

Ontophylogenèse et déterminisme génétique

Ontophylogenèse

Jean-Jacques Kupiec
(biologiste, Centre Cavaillès)

Jeudi 3 juin 2010
Centre Cavaillès (3e étage, 29 rue d’Ulm, 75005 Paris)
de 18h00 à 20h00
entrée libre dans la limite des places disponibles


L’évolution des espèces (phylogenèse) et le développement des organismes individuels (ontogenèse) sont considérés comme deux phénomènes distincts. La biologie repose sur cette ontologie qui pose l’espèce et l’individu comme réels et coextensifs, l’espèce étant une collection d’individus identiques. Dans sa version moderne cette ontologie s’appuie sur la théorie du programme génétique : une espèce est une collection d’individus possédant le même programme génétique et l’évolution des espèces est le résultat des mutations qui affectent leurs programmes (théorie synthétique de l’évolution).

Cette conception est aujourd’hui invalidée par les données expérimentales. En effet, la théorie du programme génétique repose sur l’idée que les interactions des molécules biologiques sont spécifiques. Au contraire, des données récentes montrent que les protéines manquent de spécificité. Elles peuvent interagir avec de nombreux partenaires moléculaires. En conséquence, les interactions moléculaires sont intrinsèquement stochastiques et il est par ailleurs aussi démontré que l’expression des gènes est probabiliste. Cela contredit la théorie du programme génétique à sa racine, jusqu’à l’ontologie qui la soutient.

La prise en considération de ce manque de spécificité des protéines et du caractère intrinsèquement probabiliste des interactions entre molécules biologiques débouche sur une nouvelle conception. La sélection naturelle agit non seulement dans la phylogenèse mais aussi l’ontogenèse. Celle-ci, au lieu d’être un processus déterministe dans lequel l’information génétique circule uniquement des gènes vers le phénotype (l’organisme individuel), est au contraire probabiliste et duale : les gènes fournissent les protéines, mais leurs interactions probabilistes sont triées par les contraintes sélectives produites par les structures cellulaires (et multicellulaires), qui sont elles mêmes soumises à la sélection naturelle.

Au final, cette conception débouche sur une nouvelle ontologie : il n’existe qu’un seul phénomène d’« ontophylogenèse » expliqué par la seule théorie de sélection naturelle agissant en même temps sur l’ontogenèse et la phylogenèse.

J.-J. Kupiec, L’origine des individus, Fayard, 2008. (Trad. angl. The Origin of Individuals, World Scientific, 2009). Sous la direction de J.-J. Kupiec, O. Gandrillon, M. Morange, M. Silberstein, Le hasard au cœur de la cellule, Syllepse, 2009.
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